Le bateau pilote
qui revient vers la terre ferme
trace deux sillons blancs
En 1998 le Nicolet, un bateau sondeur de la Garde Côtière était mis en vente et une annonce paraissait dans le journal à cet effet. C'est un des bateaux sur lequel mon père avait travaillé. Celui sur lequel j'avais embarqué une journée avec la permission du Capitaine qui s'appelait Dieu-Donné et qui s'amusait à dire qu'il était le seul maître à bord puisque tous l'appelait Dieu. Cette nouvelle m'avait frappé, J'avais alors découpé la photo du bateau et réalisé une aquarelle représentant le fleuve au niveau de l'île d'Orléans avec le Nicolet qui rentrait vers Québec. Mon père est mort à 47 ans, je suis plus vieille que lui. J'ai bien faillit ne jamais pouvoir dire ça. J'ai eut plus de chance que lui. La médecine a fait des progrès mais je crois aussi que j'ai fait plus attention à moi, que mon éducation a été meilleur et c'est aussi grâce à lui. Chaque fois que je vois un bateau rouge, je pense à lui. Chaque fois que je vois une bouée, un phare, une de ces cibles en forme de losanges rouges qui sert d'amer pour les pilotes aussi. En fait, chaque fois que je suis près du fleuve j'ai l'impression qu'il est là. Ce n'était pas un bavard, du moins avec mes soeurs et moi, mais il avait une forte présence. Quelquefois dans la rue si je vois un fumeur de pipe je renifle l'air pour savoir si je retrouverais l'odeur de son tabac. Voilà 28 ans que mon père est mort. J'ai oublié tous les désaccords que nous avons eut, toutes les discussions politiques qui ne faisait que nous prouver que nous n'avions pas les même idées. J'avais tout de même réussi à le faire fléchir au premier référendum sur l'indépendance du Québec. Mon argument était simple, il devait le faire pour nous, mes soeurs et moi, pour ne pas commettre les mêmes erreurs que son père à s'entêter dans ses vieilles idées. Ça l'avait secoué, car son père un Conservateur grand teint l'avait toujours étouffé sous ses idées rétrogrades. Mon père était Libéral et ne désirait pas la venue du partie Québécois. Leurs idées le rendait insécure. Il faut le comprendre, il travaillait pour le fédéral et avait peur pour sa job. Je lui avais dit que le fleuve ne ferait pas un détour pour éviter le Québec parce qu'il était souverainiste, que les bateaux continuerait de circuler jusqu'aux grands lacs tant qu'il y aurait du blé et du pétrole à exporter. Cette discussion fut notre dernière, ensuite j'ai fait ma vie et la venue de mon fils l'avait rempli de joie et rendue muet d'admiration. Il est mort alors que mon fils n'avait que trois mois, il n'a pas connu ses trois autres petits-fils que mes soeurs lui ont donné, ni son unique petite-fille. C'est comme ça quand la mort arrive trop tôt. Elle casse le party. J'ai décidé de faire une série d'aquarelles avec le fleuve comme toile de fond pour le plaisir de repenser à mon père et pour le calme que cela me procure. Que le ciel soit bleu ou gris, le fleuve porte les bateaux et je suis toujours heureuse de le regarder, même sous la neige et la glace. Ce fleuve remplace mon père pour moi, paisible ou agité, il est toujours là.
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