14 avril 2016



Il y a 5 ans, alors que j'étais au chômage (décidément c'est récurrent, car je le suis de nouveau) j'avais entrepris d'écrire un  roman.  Comme mes romans préférés se réfèrent souvent à l'enfance et prennent un enfant comme narrateur, j'ai voulu tenter l'expérience et relever ce défi.  Cela m'a pris un an.  J'ai une excellente mémoire émotive et si les dates fuient mon esprit les sensations sont très présentes malgré les années.  Je me suis donc largement inspirée de mes souvenirs, de mes sensations et de mes réflexions d'enfant pour écrire ce livre qui n'est pas publié faute de courage pour le donner à lire à des éditeurs. Je ne l'ai proposé qu'aux Éditions Alto que j'aime particulièrement, et leur refus m'a fait figure de message de la part de tous les autres éditeurs.  Je ne me prends pas pour une écrivaine mais j'ai aimé l'exercice.  Ma mère m'a proposé de le diffuser sur mon blogue et en bonne fille je lui obéis.  Sachez que le récit se déroule en 1969, que le Québec tentait encore de se sortir de la grande noirceur.  Les noms et certains événements ont été changé afin de préserver la vie privée des gens et aussi pour le plaisir d'en rajouter un peu.  Voici donc le premier chapitre:



Les pots de chagrin


L’avenir

Quand je serais grande je ne me marierai jamais. Je sais que je suis petite, on n’arrête pas de me le dire, mais j’ai neuf ans et j’ai déjà des idées sur ce que je veux faire quand je serai grande. Je n’ai pas envie du tout de devenir une femme avec un nom d’homme. C’est ce que font les femmes mariées. Ma mère s’appelle Madame Jean Goudreault, je trouve que ça n’a pas d’allure. Je préfère rentrer chez les sœurs, même s’il me faudra prendre un nom de sœur, au moins, c’est moi qui le choisirai. Je prendrai le nom de Marie, de toute façon je l’ai déjà sur mon baptistaire alors ce ne serait pas un gros changement.
Quand je serai religieuse, je partirai en Afrique, là où les hommes sont gentils et où il n’y a pas de guerre, juste de la misère. Je serai une sœur soignante, ou enseignante, ou bien les deux. En Afrique, ils sont trop pauvres pour faire la guerre, ils ne peuvent pas se payer des armes, et c’est difficile de se battre quand il n’y a rien à manger. S’ils n’ont rien à manger c’est à cause de la misère, de la grosse misère noire. C’est possible de se battre contre la misère, même la misère noire, mais il n’y a rien à faire contre la guerre, c’est toujours elle qui gagne. Il n’y a jamais personne qui gagne vraiment une guerre, même celle contre les Allemands, personne n’a gagné. Il y a eut plein de morts des deux côtés, même que je pense que les allemands ont perdus moins de monde que les autres. Alors quand j’entends qu’ils ont perdu la guerre, moi je n’en suis pas si sure. Je crois que le mieux que nous pouvons faire c’est d’arrêter la guerre et que la seule façon de gagner une guerre c’est de l’empêcher. Parce que si on ne l’empêche pas, il n’y a que des perdants, des deux côtés, et même des fois plus, quand c’est une guerre mondiale.
C’est pareil que la chicane, il n’y a rien à faire avec ça. Tous le monde à de la peine quand il y a de la chicane. Pas seulement ceux qui se crient des noms, mais tout le monde autour. Des chicanes, il y en a souvent à l’école. Je suis contente que l’école achève, ça va bientôt être les grandes vacances d’été. Je vais pouvoir prendre ma bicyclette pour aller ailleurs qu’à l’école. Ce n’est pas que je n’aime pas l’école, mais on n’y apprend pas grand chose. Il y a trop de monde, trop de bruits, trop de garçons baveux et trop de filles pas fines. Plus il y a de monde et plus il peut y avoir de la chicane, c’est comme ça. Il y a les chicanes entre les élèves et il y en a aussi entre les professeurs et ça en plus des professeurs qui chicanent les élèves. Il y a même eut une chicane entre les parents et la directrice cette année. C’est vrai qu’elle est complètement folle, elle donne des coups de strap aux élèves parce qu’ils sont mal habillés. Comme si les enfants faisaient exprès d’être pauvres. Dans le village il y a beaucoup de pauvres, en tout cas, il n’y a pas beaucoup de riches.
Une fois j’ai bien cru que c’était mon tour de goûter à la strap. La directrice était postée devant la porte de ma classe alors que nous rentrions tous de la récréation du matin et elle regardait les jambes de toutes les filles qui entraient. Celles qui portaient des pantalons moulants sous leur uniforme au lieu des collants se faisaient attraper par un bras et mettre de côté pour aller à son bureau. Il y avait déjà trois filles alignées près du mur, l’air résigné et les lèvres tremblantes d’humiliation. Je n’en menais pas large. Je suis passée sans que la sœur directrice ne se rende compte que moi aussi je portais des pantalons moulants au lieu d’une paire de collants. Je ne sais pas ce qu’a la directrice contre les pantalons. Si la directrice ne s’est aperçue de rien, c’est que ma mère nous fait mettre à ma sœur et moi des chaussettes de la même couleur que nos pantalons, des bleus pour moi et des rouges pour ma sœur. Alors, c’est vraiment difficile à voir. Si nous portons des pantalons au lieu des collants, c’est parce qu’ils sont plus résistants, qu’ils coûtent moins cher et que c’est plus beau que des collants trop souvent raccommodés. Puis avec nos uniformes gris, ça met un peu de couleur. Les filles, nous devons porter des jumpers gris et les garçons des pantalons gris. Avant nous devions absolument porter du blanc avec nos uniformes carreautés verts. Mais depuis qu’ils sont gris, ça fait déjà deux ans, le règlement est plus souple, enfin, c’est ce que nous pensions. Les pauvres filles qui sont allées chez la directrice en sont revenues en pleurant. Elles n’ont pas voulu dire ce qu’elles avaient enduré, mais tous le monde sait qu’elles ont mangé de la strap, mais où? Sur les doigts, les fesses, ou peut-être sur les mollets que la directrice surveillait tant.
Cette directrice est une sœur tellement vieille qu’elle a des principes passés date et qui viennent d’une autre époque. C’est comme si le temps s’était arrêté pour elle, elle vie dans l’ancien temps. Si la directrice est devenue si méchante, il parait que c’est parce que l’année prochaine les sœurs ne porteront plus le voile, ni ces drôles d’uniformes qui leur donnent des airs de corneilles. Elles devront s’habiller comme tous le monde, tous simplement, et pour pouvoir les reconnaître elles vont porter de petites croix sur leurs vêtements. Moi, je trouve que c’est une bonne idée. J’en suis très contente, je vais pouvoir profiter de cette nouveauté un fois que je serai chez les sœurs. J’espère seulement que je n’aurai jamais une directrice aussi vieille que celle-là. D’ici à ce que je sois assez grande pour faire mes vœux, les vieilles sœurs de l’ancien temps seront à la retraite depuis longtemps, c’est sure.
Depuis cette histoire des pantalons moulants, la directrice a été remplacée par un directeur laïc. C’est un marguiller, une personne qui aide l’église mais qui n’est pas un curé. C’est lui qui dirige l’école pour le reste de l’année, même si nous ne le voyons jamais. Il travaille, il est marié et il a des enfants, alors il ne vient que le soir et il fait des réunions avec les sœurs et avec les professeurs. Il n’y a plus de sœurs qui enseignent, elles sont toutes trop vieilles, il ne restait que la directrice et puis d’autre sortes de sœurs qui dirigent d’autres sortes d’affaires comme celle qui à toute les clés et celle qui tient la procure. Elle, c’est la plus fine, des fois elle nous donne des affaires qui reste trop longtemps sur les tablettes comme la fois ou elle nous avait donné des vieilles effaces roses qui ne sentaient plus rien mais qui effaçaient encore.
Le plus gros changement qui est arrivé avec le nouveau directeur c’est que nous ne faisons plus la prière chaque fois que nous rentrons dans la classe et nous ne chantons plus le Ô Canada tous les matins. Nous disons simplement bonjour à la maîtresse tous ensemble. Comme ça nous avons plus de temps pour apprendre. C’est dommage, moi j’aimais bien chanter, mais j’aurais changé de chanson de temps en temps et puis les prières je trouve que c’est mieux de les faire à l’église ou bien dans son coeur. Je trouve qu’une prière c’est personnel dans le fond et nous pouvons bien prier où et quand nous le voulons. Pour moi le mieux c’est le matin en me levant, pour bien commencer la journée et le soir en me couchant pour faire mon examen de conscience et penser à ma journée afin de voir ce que j’aurais put améliorer. J’ai appris ça en deuxième année, quand nous nous préparions pour la première communion. C’est important de bien faire nos prière parce qu’Il faut être toujours prêt à rencontrer le bon Dieu, on ne sait jamais.
Toutes ces histoires avec les sœurs ça nous a fait une drôle d’année scolaire. Beaucoup de personnes se sont chicanées. Les parents qui étaient d’accord avec les sœurs et ceux qui était pour le nouveau directeur avaient formé des camps opposés, comme des armées. Je crois même que le gouvernement s’en est mêlé, pour que ça s’arrête. Même mes parents n’étaient pas d’accords entre eux. Mon père n’aime pas les curés, ni les religieuses et il est contre la prière dans les écoles, mais ma mère est croyante et elle est pour ça. Même si mes parents ne pensent pas pareil et qu’ils ne sont pas d’accord, ils ne se disputent pas pour ça. C’est la preuve qu’on peut être ensemble et puis avoir toutes sortes d’idées différentes et même qu’en plus c’est possible de s’aimer pareille.
Avec toutes ces chicanes, l’école ne possède pas toujours l’ambiance idéale pour apprendre. Je me dis des fois que j’aimerais mieux apprendre toute seule, les livres sont faits pour ça. Si j’avais le livre de la maîtresse, je n’aurais pas besoin d’elle. Je l’ai vue souvent son grand livre du maître, sur son bureau. Des fois, quand c’est mon tour de laver le tableau, j’en lis quelques pages et je trouve ça vraiment intéressant. Il y a des notes qui disent comment expliquer et il y a des exemples et des exercices avec les réponses. Ce n’est pas tellement les réponses qui m’intéressent que les explications qui sont données. Elles sont beaucoup plus claires que ce que dit la maîtresse. Elle en dit trop, comme si elle mettait de l’eau dans sa soupe alors c’est difficile de savoir si c’est du bouillon de bœuf ou de poulet.
Au début je la trouvais fine ma maîtresse de quatrième année, mais depuis qu’elle a traité le petit Gallant de pâte molle, je la trouve injuste comme tous les autres adultes. Ce n’est pas facile de trouver un adulte qui soit du bord des enfants. Le petit Gallant a bien le droit de dormir un peu sur son pupitre, vue qu’il se lève de très bonne heure pour faire le train avec son père et qu’il se couche tard pour faire ses devoirs après ses corvées du soir. Elle le saurait, ça, la maîtresse, si elle lui demandait pourquoi il dort au lieu de lui crier après.
Moi, je sais tout ça, pas parce que le petit Galant me l’a dit, il ne parle pas beaucoup, comme tous les garçons, mais parce qu’il vie sur une ferme et que tous les garçons qui vivent sur une ferme travaillent fort comme ça. C’est un bon garçon autrement, il ne se bat jamais, il est gentil avec les filles, il ne nous tire jamais les couettes, il lui arrive même de nous laisser passer devant lui à l’abreuvoir et il n’est pas le dernier de la classe, même qu’il a une belle main d’écriture pour un garçon. J’ai vu l’eau qui montait dans les yeux bleus du petit Gallant quand la maîtresse lui a dit ça, qu’il était une pâte molle, devant toute la classe en plus. Il avait l’air tellement triste, puis, de grosses larmes se sont misent à couler, mais elles coulaient sans un bruit, pas un mot, pas un son ne sortaient de sa bouche.
Je sais pas comment il fait ça, pleurer sans bruit, mais ça m’impressionne, moi je n’y arrive pas. J’aimerais bien qu’il m’apprenne. Je l’ai trouvé très courageux d’arriver à pleurer comme ça, comme les adultes. Je n’avais jamais remarqué avant qu’il avait les yeux bleus comme mon grand-papa Gagné. Des yeux bleus comme le ciel.
Je l’aime assez mon grand-papa Gagné. Il n’est jamais allé à l’école lui. Alors comme il ne sait même pas écrire son nom, il signe avec une croix. Une chance que grand-maman Gagné était maîtresse d’école. Tout les dimanches elle lui lit le Bulletin Paroissial. Mon grand-papa ne sait pas lire, mais lui, il sait parler aux animaux, et les animaux l’écoutent. Il comprend les animaux pas seulement parce qu’il les soigne, mais parce qu’il les écoute. C’est pareil avec les enfants, ceux qui nous comprennent c’est parce qu’ils nous écoutent. C’est aussi rare que ceux qui comprennent les animaux. Mon grand-papa est de ceux là, il comprend les animaux et les enfants, c’est encore plus rare.
Il a une jument difficile qui s’appelle Catin. Elle prend souvent le mord aux dents. C’est parce qu’elle a été maltraitée par son ancien propriétaire qu’elle fait ça. Quand sa jument Catin prends le mord aux dents, il dit que c’est parce qu’elle a peur. Peur qu’on lui fasse du mal, pis que quand la peur est là, elle prend toute la place. Ça ne sert à rien d’expliquer, de tenter de parler, quand un animal a peur, il n’entend plus rien. C’est pareil pour tous le monde il parait. Alors dans ces cas là, mon grand-papa, quand Catin prend le mord aux dents, il la saisi dans ces bras très très fort, car il est très très fort mon grand-papa. Il lui caresse doucement le cou pour la calmer en la regardant droit dans les yeux, puis dès que c’est possible, enfin, quand elle a commencé à avoir moins peur, il peut lui parler doucement.
Moi je n’ai pas peur quand Catin prend le mord aux dents. J’écoute mon grand-papa et je fais tout ce qu’il dit. J’a confiance en lui, il me parle doucement. Il parle toujours doucement et il sait ce qu’il dit. Et puis, il aime les bonbons et il nous amène souvent faire un tour au village avec les chevaux juste pour en acheter un sac que nous cachons ensuite dans la grange pour pas se faire chicaner par maman ni par grand-maman qui ne veulent jamais qu’on mange des bonbons. Surtout pas avant les repas.
Grand-papa Gagné n’a jamais chicané personne, surtout pas un enfant. Ma mère dit que c’est parce qu’il est resté enfant lui-même et que comme ça grand-maman Gagné elle a eut treize enfants à s’occuper durant sa vie, douze qu’elle a mis au monde plus mon grand-papa. Elle peut bien avoir l’air fatiguée des fois. Mai elle a tellement l’air de l’aimer son mari-enfant, ça se voit dans ses yeux et ça se sent dans ses gestes. Elle le sert toujours en premier après les enfants et elle lui met toujours un petit bol de sirop d’érable à côté de son assiette parce qu’il aime ça tremper sa viande puis ses patates dedans.
Mais des maris comme grand-papa Gagné je ne crois pas que ça existe beaucoup. Même le petit Gallant, je l’ai vue un jour donner un coup de pied à un chat. Il n’est pas toujours gentil et il n’a pas du tout l’air de comprendre les animaux. Alors je ne prends pas de chance et je vais rentrer chez les sœurs.





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