23 août 2024

Je dois vous parler de mon autre soeur, ma petite soeur.  Il faut savoir que dans ma famille je suis l'aînée, la grande soeur c'est donc moi, la petite c'est la plus jeune et la frangine celle du milieu.  C'était une suggestion de notre mère qui lit beaucoup et parfois du San Antonio.  Ma petite soeur donc était le plus joli bébé du monde: grands yeux bleus, petite bouche en coeur et jolis cheveux blonds.  Nous en étions tous gagas, moi y compris.  J'adorais la bercer, la promener sur son tricycle, la pousser dans la balançoire et lui apprendre la corde à danser.  Cette douce enfant s'est avérée une redoutable combattante en grandissant.  Elle a trouvé sa vocation dans le syndicalisme et vient tout juste de prendre sa retraite ce printemps.  Elle parcourt maintenant la province avec le père de ses enfants dans un VR tout neuf avec lequel ils sont passés me voir il y a dix jours.  

C'était en plein dans le temps des Perséides et un soir ou il n'y avait pas de nuages, nous avons installé les chaises longues dans l'entrée de voitures, le seul endroit dégagé dans notre terrain forestier.  Sitôt assis, une énorme étoile filante, la plus grosse que j'aie jamais vue, est passée au-dessus de nos têtes, traçant une ligne droite du toit jusqu'aux arbres en nous laissant complètement babas.  Je dis nous, mais il s'agit de ma soeur et moi, puisque son conjoint était encore en train d'aligner sa chaise.  Nous avions cru avoir droit à une soirée d'enfer, mais après cet exploit, nous n'avons vu que quelques petites étoiles frileuses qui nous décevaient du peu d'efforts qu'elles mettaient pour nous éblouir.  Au bout d'une heure nous en avons eu assez et bonne nuit, bon rêve, pas de puces, pas de punaises, tout le monde au lit.

Ma petite soeur est une fameuse tricoteuse.  Depuis quelques années, en préparation à sa retraite, elle crochette toutes sortes d'artéfacts mais surtout des couvertures.  Elle m'a donné sa plus belle réalisation.  Je dors avec depuis que les nuits sont plus froides et je m'enroule dedans le soir venant parce que je refuse de sortir ma robe de chambre d'hiver et que je persiste à porter le kimono de coton donné par ma professeur de danse japonaise.  Bref, je l'adore et on ne se quitte plus.  Elle sera sur mon lit lorsque le médecin viendra m'aider à mourir.  

Ça y est, ma demande est faite.  L'évaluation par le premier médecin également.  La procédure suit son cours et la date est fixée: le premier novembre.  Mais ça pourrait être plus tôt car le cancer progresse et les symptômes s'intensifient.  Je viens de doubler la dose de méthadone et d'ajouter une prise de plus par jour.  Je m'endors dès que je m'assois à ne rien faire.  Alors comme ma petite soeur je reprends le crochet.  C'est tout pour le bénéfice de ma petite-fille toute neuve.

Je reviens tout juste de Mont-Tremblant où nous avons fait un tour du lac, en fait un demi tour du lac Tremblant, sur un gros bateau, le Grand Manitou II.  Le capitaine, un ancien psycho-éducateur en Centre-Jeunesse était tout heureux de sa reconversion et de ce nouvel emploi.  Le guide, un homme du coin, nous a parlé de l'histoire des villages et des habitants célèbres de l'endroit.  Nous avons appris qu'il y a des loups et beaucoup de chevreuils.  J'aurais aimé voir l'un ou l'autre mais je n'ai vu que le ciel qui promenait ses nuages et le lac qui baladait ses bateaux.  Ma grande petite-fille est allée dans la cabine et on l'a même laissée piloter quelques minutes, à sa grande joie.  Quand ma grande petite-fille a su que j'allais bientôt mourir elle est venue me voir pour me demander ce que je voulais faire avant de mourir.  J'ai demandé un tour de bateau.  Je ne suis pas difficile, un tour de traversier m'aurait suffi.  J'ai adoré ma ballade d'une heure à jouer les touristes, c'est parfait pour moi.


                                        Ce mois d'août perdu

                                        dans une météo d'automne

                                        -couverture de laine




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