18 avril 2024

                                      

Aujourd'hui il pleut.  Je viens de terminer une aquarelle que j'avais commencée il y a cinq ans.  Comme si j'avais réalisé que je n'avais pas encore toutes les connaissances techniques pour la terminer.  Alors qu'aujourd'hui, le travail à faire m'a semblé évident.  C'est rare que je ne termine pas un travail.  J'en ai trouvé deux autres, dont une que je terminerai demain, ou après-demain, qui sait.  La troisième je crois que je vais la jeter.  Je ne sais toujours pas quoi en faire.  J'avais suivi un atelier avec une aquarelliste que j'aimais bien.  Elle commençait par teindre la feuille au complet avant de commencer.  C'est loin d'être ma technique préférée.  Dommage pour la feuille de papier gâchée, au prix qu'elle coûte.

J'ai reçu l'appel d'une ancienne collègue de travail, hier.  Elle était cuisinière et moi serveuse dans une résidence pour aînés.  J'admirais son calme et sa générosité.  On n'était pas spécialement amie, mais on s'appréciait.  C'est toujours aussi désagréable d'annoncer à quelqu'un que j'ai un cancer.  Cela l'a attristée, j'aurais préféré lui dire que j'allais sortir un livre avec mes haïkus, mais non.

L'année dernière j'étais pourtant bien décidée à les faire publier.  J'avais ressorti tous mes haïkus écrits depuis mes débuts en 1981.  Ça fait un beau paquet.  Devant la tonne de travail, j'ai failli abandonner.  Je collecte mes écrits dans différents cahiers, un pour chaque saison et un autre pour ceux qui n'en ont pas, les senryus qui parlent plutôt des gens et de leurs travers.  Ils sont souvent humoristiques, je suis assez moqueuse.  J'ai vite réalisé que les saisons pouvaient se relier chacune à un sens.  J'ai donc choisi les haïkus de printemps qui se reliaient à l'ouïe, ceux d'été avec l'odorat, d'automne avec la vue et d'hiver avec le goût.  Restait le toucher avec les senryus qui parlent d'amour.  C'est bien connu depuis Harmonium que la cinquième saison est celle de l'amour.

Comme le doute m'envahissait, j'ai demandé à une amie, Francine Labrie, auteure prolifique pour enfant et qui possède un excellent français écrit, de me corriger.  Elle ne connaissait pas spécialement le haïku aussi j'avais intérêt à être claire dans mon propos sinon, je n'avais plus qu'à retravailler.  Ça nous a pris tout l'hiver dernier et après ça ,j'ai envoyé mon manuscrit à cinq éditeurs. Elles ne sont pas nombreuses à éditer du haïku.  Quatre de ces maisons étaient en France, une seule m'a répondu pour me dire qu'elle n'éditait plus de haïkus.  J'ai réalisé plus tard qu'une autre n'existait plus, pour cause de difficultés durant la pandémie.  La seule qui m'a répondu c'est l'éditeur de l'Ontario, Les Éditions David, pour laquelle j'ai participé à plusieurs collectifs.  Après étude par leur comité de lecture, j'ai été refusée.  J'ai eu le courage de leur demander leurs critères de sélection et j'ai reçu deux pages de textes tellement compliqués que j'en ai perdu le peu d'estime de moi qui me restait.

Puis j'ai pensé au blogue comme solution.  Il permet de m'auto-publier, sans aucun frais, sans couper un seul arbre et sans aucune censure.  Une grande liberté.  Je l'ai donc ranimé de ses cendres et je vous offre aujourd'hui le premier tercet que j'avais proposé aux éditeurs.  Il parle d'amitié mais aussi de solitude, c'est la force du haîku, de dire en peu de mots, de contenir autant dans le non-dit.  Vous entendez le bruit des gouttes d'eau?  

                                                         

                                                            La pluie attendue

                                                            vient frapper à la fenêtre

                                                            comme une vieille amie




11 avril 2024

Des mauvaises journées on en connait tous.  Mercredi dernier en fut une parmi les plus mémorables pour moi.  D'abord mon taxi collectif ne s'est pas présenté.  Ma fille m'a donc déposée près d'un arrêt de bus et le chauffeur a réussi à oublier de s'arrêter à mon arrêt, dûment demandé.  Il m'a fallu marcher davantage pour me rendre à mon premier rendez-vous avec l'oncologue.  Comme j'étais en retard d'une demi-heure, j'ai dû attendre la fin de ses rendez-vous pour le rencontrer, soit trois heures plus tard.  Ce gentil médecin, croyant toujours que j'allais être traitée au CHUM, car c'est à cet hôpital que j'avais été soignée la première fois, m'a demandé des éclaircissements que j'avais du mal à lui fournir parce que j'avais des crampes dans la langue, occasionnées par de longues attentes à l'extérieur pour le taxi et l'autobus.  Une mauvaise journée! je vous l'avais dit.  Il a finalement consenti à me prendre comme patiente.

Ce médecin m'a donc proposé des traitements en immunothérapie et expliqué toute la procédure.  Il a fini par répondre à ma question: -Combien de temps je peux vivre si je n'accepte pas les soins?  Sa réponse hésitante: -Moins de 9 mois, comme c'est dans la gorge vous allez mourir étouffée.  Avec les soins je peux augmenter mon espérance de vie de 6 semaines à 6 ans.  Il ne sait pas vraiment.  Bref, je vais tenter ma chance, bien que je ne crois pas en avoir beaucoup.  Seulement, je ne crois pas non plus être malchanceuse.  Les gens et les systèmes ont tendances à m'oublier, mais j'ai de la discipline, de la patience et de la résilience, ce qui fait que j'arrive à passer à travers bien des situations.  De toutes façons, je n'ai pas grand chose à perdre.  Je peux arrêter les traitements à tout moment si cela devient trop pénible.   

Pour couronner le tout, j'apprends que cette même journée, mon beau neveu, père de trois magnifiques enfants, à fait un pneumothorax, sont troisième en fait.  Merde! de journée de merde! 

Je dois dire que samedi dernier s'est déroulé à l'opposé de ce mercredi à oublier.  J'ai assisté à la représentation d'Okuni, une pièce de danse théâtre de Kayo Yasuhara, ma professeur de danse japonaise.  Il y avait aussi Élizabeth Cathy à la musique (flûtes japonaises et percussions) et mon amie Sylvi Belleau à la technique mais aussi à la direction artistique et à la mise en scène.  C'était à la Maison de la Culture de Montréal Nord.  J'y ai vu plusieurs de mes amies et des connaissances mais toutes et tous sont venus vers moi avec un doux sourire plein de compassion.  Je ne m'attendais pas à ça.  Il y a plus de gens que je ne le croyais qui lisent ce blogue.  Je suis très reconnaissante envers vous tous qui me suivez.  Comme ça, je n'ai pas à répéter mon histoire et on peut parler d'autres choses, comme de nos projets, de nos occupations, de musique et d'aquarelle.  

J'ai grandement apprécié le spectacle, c'était la troisième fois que je le voyais, avec quelques années d'intervalle entre chaque, et c'est le meilleur des trois.  Les filles ont travaillé fort pour améliorer le texte, la mise en scène, le graphisme et l'animation du fond de scène.  Même la musique avait plus de sens, plus de répercussion sur l'histoire racontée qui est celle d'Okuni la créatrice du Kabuki.

J'ai terminé la soirée chez une amie et le lendemain nous sommes allées marcher près de la rivière Des Prairies.  La journée était belle et ensoleillée.  Le sol était presque sec et la ballade a duré deux heures.  Une très belle fin de semaine, comme quoi, il y a aussi de belles journées.


                                        La neige à fondu

                                        le sol dégèle doucement

                                        -l'odeur pas terrible




05 avril 2024

 Hier, pas d'électricité de toute la journée.  Une tempête de neige portée par un fort vent d'est sévissait et arrachait des branches aux arbres.  Résultat: coupure de courant.    

Mais comme c'était beau!  La neige collante adhérait à chaque branche de chaque arbre dessinant des arches sous le poids de toute cette accumulation.  Un tableau abstrait en blanc sur blanc, avec tous les tons de gris possibles.  Je contemplais ce paysage en ajoutant une couche de vêtement de temps en temps.  Très vite le thermostat est descendu à 14 C et s'y est cantonné.  Comme la luminosité était grande j'ai tout de même réussi à peindre une aquarelle.  

Pas d'électricité ici, signifie pas d'eau.  Le puits nécessite une pompe électrique.  Heureusement, je garde toujours deux gallons d'eau pour ces cas-là.  Une lampe à l'huile, quelques bougies et une bonne lampe de poche, un radio avec des batteries et j'ai passé une agréable soirée.  J'ai terminé un roman, L'eau qui dort, de Fiona Barton, un polar anglais bien cousu, et complété quelques grilles de mots croisés.  Juste au moment où je me mettais au lit sous deux couvertures supplémentaires, la lumière est revenue et le calorifère s'est mis à craquer.  

Dans quelques jours tout aura fondu.  C'est ça le printemps au Québec,  de la chaleur puis du froid et de la pluie suivie de neige,  du vent et puis soudain il fait 20 C et c'est l'été.


                                        Tempête printanière

                                        tout n'est pas devenu blanc

                                        grosse panne électrique




28 mars 2024

 Le temps s'est radouci.  La neige ne persiste que dans la forêt et dessine de drôles de figures sur le sol.  Les premiers tussilages sont sortis, ces petites fleurs jaunes que l'on prend souvent pour des pissenlits.  Elles colorent le ruisseau qui descend la côte en suivant la rue.  Quand je vais chercher le courrier qui se trouve trois rues plus bas, j'écoute la chanson de son ruissellement.  Je m'arrête souvent pour en profiter aux endroits où il va crescendo. 

Aujourd'hui j'ai rencontré une infirmière et mon médecin en soins palliatifs.  Elles vont m'aider pour la douleur.  Ça fait du bien d'être écoutée et comprise.  Elles savent combien les cancers ORL sont douloureux.  De l'extérieur, j'ai l'air tout à fait normale.  Je ne me plains pas, à quoi bon,   Mais un peu de morphine est parfois la bienvenue.  J'attends toujours d'être contactée par l'équipe d'oncologie de St-Jérôme.  Il semble que l'immunothérapie pourrait ralentir le processus.

Bientôt ce sera Pâques et samedi mon fils organise une petite fête pour l'enfant à venir.  J'ai tellement hâte de la rencontrer, c'est une petite fille.  Elle s'appellera Lana.  Elle arrivera autour du 27 avril.  J'aime tricoter pour elle.  J'ai mis une semaine à démêler des écheveaux de coton pour en faire des balles.  Maintenant je crochète une petite robe pour bébé.

Je continue à pratiquer l'aquarelle.  En ce moment je dessine des paysages calmes et sereins.  Des lacs, des rivières au dégel qui reflètent les montagnes sur leurs eaux paisibles.  J'entretiens la sérénité.  Je privilégie toujours le ciel.  Je lui donne la plus grande place car ce que j'aime le plus c'est de peindre les nuages.  En fait, je peins entre les nuages.  C'est peindre en négatif, moi qui suis si positive.  Ça m'amuse!


                                       Raffale de vent
                                        les arbres éparpillent leur neiges
                                        aucun chant d'oiseaux




19 mars 2024

 Je viens de retirer les flocons de neige en papier que je bricole chaque année pour placer dans mes fenêtres.  Nous sommes officiellement le dernier jour d'hiver et voilà qu'il neige.  Ça aura été une drôle de saison très peu froide et qui aura permis à un printemps hâtif de s'installer.  J'ai plus tricoté que skié,  une seule fois du ski de fond, une fois de la raquette ( je n'en raffole pas) et cinq ou six fois de sortie avec ma trottinette des neiges.   

De toute façon je ne sors plus beaucoup depuis un an.  Ma santé s'est dégradée.  J'ai survécu à un cancer de la gorge en 2002, mais récemment des séquelles importantes apparaissent l'une après l'autre : difficulté à parler, à manger, douleurs et fatigue.  En juin de l'année passée on m'a installé un tube pour me nourrir directement par l'estomac, c'est une gastrostomie.  Depuis je n'ai plus mangé ni même bu quoi que ce soit.  Tout passait directement dans mes poumons.  Le printemps dernier avait été difficile, j'étouffais.  C'est beaucoup mieux maintenant, bien que me nourrir soit devenu monotone.

La semaine dernière mon ORL m'a annoncé que j'avais a nouveau un cancer de la gorge.  Ce n'est pas le même qui revient, c'est une autre sorte de cancer.  Pas de chance!  Ce sont les mots du médecin.  Moi qui avait fabriqué au tricotin une murale avec le mot CHANCE parce que la chance il parait que l'on doit se la faire.  Un travail inutile on dirait.  Je crois que je vais transformer le mot pour écrire DANSE.  Car je continue de danser dans mon salon, et j'adore ça,  Ces temps-ci sur un disque de Pink Martini.  

J'ai beaucoup mieux pris la nouvelle cette fois-ci.  La première fois j'avais pleuré durant trois jours.  Là, je fais pleurer ma famille et mes amies.  Je m'en excuse, vraiment.  C'est moi qui les console.  Je suis trop sereine on dirait.  Pourtant je suis lucide.  Mais je ne peux que réaliser que j'ai eu plus de vingt ans de sursis.  Que j'en ai profité et que j'en profite encore, c'est pas terminé.  Mon fils et sa femme attendent un bébé pour le mois d'avril.  C'est bientôt et c'est merveilleux.  La vie est forte mais à la fin c'est toujours la mort qui gagne.


L'hiver se termine

Demain commence le printemps

Peut-être mon dernier




 






15 mars 2024

 Ça fait un bout de temps que je désire reprendre ce blogue et chaque fois, je me trouve une bonne raison pour faire autre chose.  Comme le printemps c'est le temps de faire du ménage dans ses affaires, j'ai entrepris de  faire du tri dans mes haïkus.  J'ai cru naïvement que j'arriverais à les faire publier.  Après le refus de plusieurs maisons d'éditions ici et en France, je me suis souvenue du plaisir que j'avais à rédiger ce blogue, d'y présenter et mes haïkus et mes aquarelles.  Me voilà donc de retour, j'espère pour votre plus grand plaisir, en tout cas, pour le mien.


Retour du printemps
À chaque matin plus d'oiseaux
En rester sans voix



07 mai 2016




Le soleil d'automne

traverse les feuilles des grands arbres

-en fait des vitraux


Le jardin des soeurs


J'ai décidé d'entrer chez les soeurs quand j'étais en première année. C'est à cause d'une soeur gentille. Le plus drôle, c’est que je ne sais même pas son nom. Je crois qu’elle me l’avait dit mais que je l’ai oublié. En première année j'étais vraiment petite, la troisième plus petite de la classe. Je le sais parce qu’on nous place toujours par ordre de grandeur pour entrer dans la classe et je suis encore la troisième plus petite même si je suis en quatrième année, ça n’a pas changé. Des fois il y en a un ou une qui se fait changer de place dans le rang parce que ça arrive que les enfants poussent tout d’un coup. Ça s’appelle une poussée de croissance, mais moi, on dirait que j’en ai jamais. Je pousse tranquillement pas vite.
Pour les petites dans la cour d'école, il n'y a jamais une balançoire de libre à la récréation, alors je n’ai jamais réussi à me balancer. C'est parce que quand j'arrive dans la cour les balançoires sont déjà toutes occupées et si j'arrive tard c'est parce que je n’aime pas la bousculade avec les plus grands à la sortie de la classe, alors je laisse passer tout le monde. Je fais encore comme ça, alors comme je sortais souvent la dernière de la classe à la récréation, quand j’arrivais aux balançoires je n’avais plus qu’à faire la queue avec les autres petites. C’est surtout les filles qui aiment les balançoires.
J'avais beau faire la queue, les filles donnaient toujours leur place à leurs amies. Personne ne respecte la queue, ça c’est un principe que j’ai fini par comprendre, il y a toujours des passe-droits. En première année je n’avais pas encore d’amies parce qu’on venait d’arriver au village. En plus nous avons déménagé en court d’année, au mois d’octobre. J’étais donc la petite nouvelle, celle dont tout le monde aime se moquer. Dans ma famille je suis la plus vieille. J’ai deux soeurs plus petites que moi qui n’allaient pas encore à l’école, alors je n’avais pas non plus de grande soeur comme certaines pour me passer sa balançoire en passe-droit.
Il y avait toujours à côté de moi la petite Gervais, qui est encore plus petite que moi, la plus petite de la classe en fait, et qui faisait la queue inutilement comme moi. Elle a bien deux soeurs mais elles sont dans la grande école, là où il n’y a pas de balançoire dans la cour. Elle a aussi un frère, mais il ne joue pas aux balançoires, il préfère jouer au ballon avec les autres garçons. À force de faire la queue ensemble, nous sommes devenues un petit peu des amies. Nous nous sourions à la récréation et c’est comme ça que j’ai appris qu’elle était très gentille. Elle était fine avec moi mais ce n’est pas elle qui aurais pu me passer sa balançoire, ni l’inverse d’ailleurs. Un jour, même, nous nous étions dit que si jamais l’une d’entre nous avait une balançoire une bonne fois, nous la passerions à l’autre au moins un petit peu. Comme ce n’est jamais arrivé, nous restions ensemble à faire la queue et à regarder les grandes qui ont toujours tout. Nous ne nous décidions pas à faire autre chose que la queue. Nous ne pensions jamais à nous apporter une corde à danser ou autre chose pour jouer. Nous étions trop petites.
Un soir la maîtresse m'avait retenue pour m'expliquer quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre, quelque chose de très simple comme: je dois faire mes devoirs à la maison. A ce moment-la, en première année, je n’arrivais pas à me souvenir que j’avais des devoirs une fois rendue à la maison. C’était comme si, dès que je rentrais chez moi, j’oubliais l’école et je ne pensais qu’à jouer avec mes soeurs. Quand ma mère me demandait si j’avais des devoirs, je ne m’en rappelais plus et je lui disais que non. Alors je ne les faisais jamais.
C’est dur à expliquer à une maîtresse que ce n’est pas parce que je suis paresseuse que je ne fais pas mes devoirs, que c’est juste que je suis oublieuse. Elle était gentille ma maîtresse de première année, elle parlait toujours doucement. Je n’ai pas eut l’impression de me faire chicaner, elle m’a surtout dit de bien écouter juste avant de partir de l’école car c’est à ce moment là qu’elle répète quels sont nos devoirs. Je ne pouvais pas les écrire, je ne savais pas encore écrire. Elle m’a demandé de faire l’effort de m’en souvenir. Je lui ai promis de bien écouter. C’est ça que les élèves sont supposés faire à l’école, écouter, mais c’est long une journée à écouter et moi j’ai besoin de bouger et j’ai hâte que la classe finisse enfin pour pouvoir sortir jouer dehors. Elle m’avait retenue pour me répété juste pour moi quels étaient les devoirs de la journée : il fallait écrire une ligne de e, puis une de é, puis encore une de è et encore une dernière de ê.
C’est drôle que je m’en souvienne encore. C’est peut-être parce que c’était la première fois que je faisais l’effort de m’en souvenir. Ce n’était pas compliqué pourtant. J’avais juste à retenir que je devais écrire une ligne de chaque e avec son chapeau en plus d’une sans chapeau. Elle a même écrit la première lettre de chaque ligne en me disant que je devais les terminer à la maison. C’est ça des devoirs, pas plus compliqué.
Quand j'ai enfin pu quitter la classe tout le monde était déjà dans les autobus. C'est là que j'ai vue quelque chose que je n’avais jamais vue : des balançoires vides. Alors au lieu de me diriger vers mon autobus, j'ai couru me prendre, enfin, une balançoire. Je n’ai pas pu résister. Je me suis balancer super haut et j'avais du vent dans la face puis du vent dans le dos. J'adorais ça. Je n’ai pas vue tous les autobus partir l’un après l'autre. Quand j'ai tourné enfin la tête vers les autobus jaunes, le dernier s’en allait vers le haut du village. J'ai voulue sauter de la balançoire, mais j’allais bien trop haut. J’ai commencé par ralentir en frottant mes pieds sur le sol à chaque passage. Ça a pris du temps, mais j’ai fini par ralentir. J’étais quand même assez haut, mais j’ai décidé de sauter. J’ai fait un grand bond, je pensais que je volais. J’ai atterri sur mes deux pattes puis j'ai couru de toutes mes forces, mais je n'étais rien qu'en première année et je ne courrais pas vite dans ce temps là, et puis ça ne servait à rien car je voyais bien que tous les autobus étaient partis et que celui après lequel je courrais n’était même pas le mien. Mais j'ai quand même voulue courir plus vite, alors j'ai glissé dans la garnotte en tournant devant le couvent et me suis étalée sur le côté juste devant le couvent des soeurs.
J'avais un genou en sang, ça brûlait sans bon sens et je ne savais même pas le chemin pour rentrer chez moi. Je me sentais toute seule et perdue comme Boucle d’Or. Je ne savais pas ce que j’allais devenir, si des ours allaient me manger, ou si je resterais toute la nuit dans la cour d’école jusqu’au lendemain. Je me sentais perdue alors j'ai eu peur et je me suis mise à pleurer comme un bébé lala. Mais c'est vrai que ça faisait mal.
Une soeur que j’avais jamais vue avant m'a heureusement entendue. Elle est venue doucement vers moi comme je fais pour m'approcher d'un oiseau. Je n’allais pas m’envoler. J'ai arrêté de pleurer, même si ça faisait encore mal. Je ne voulais pas qu’elle me traite de bébé lala. Elle m'a posé des questions mais j'étais comme sourde, je comprenais rien. Je voyais ses lèvres bouger mais j'entendais juste mon coeur cogner comme un marteau sur un toit de tôle. J'ai fini par entendre: ''quelle année?'' J'ai montré un doigt. Elle a dit avec Madame Genévrier et j'ai fait signe que oui. Elle avait compris. Elle m'a tendu la main et je l'ai prise. Elle avait une petite main un peu rude comme celle de ma grand-maman Gagné. Elle m'a amené au couvent et fait entrer par une porte de côté. Il y avait un local avec des murs tout vitrés dans lequel était assise derrière un gros bureau une autre soeur que je n’avait jamais vue et qui avait une moustache.
La soeur gentille m'a fait asseoir et elle a pris dans le gros bureau une boîte blanche avec une croix rouge dessus. J'ai pensé que c'était un trésor comme sur les cartes de pirates mais c'était juste des pansements. Elle a lavé mon genou avec du peroxyde et m'a mis des carrés de cotons qu'elle a collé avec du ruban collant blanc. J'avais un genou tout blanc comme s'il était dans le plâtre. Je trouvais ça jolie mais exagéré, c'était juste des égratignures après tout.
Quand elle a eut fini, elle m’a demandé comment je m’appelais. J’étais moins triste et de nouveau capable de parler. Elle m’a aussi demandé le nom de mon père puis elle s'est relevée et elle est sortie en me disant de rester sage. Je me sentais tellement bébé que j'avais encore envie de pleurer, mais elle avait été si gentille et il y avait la soeur à moustache qui me regardait. Elle n’avait pas l'air méchante, la soeur à moustache, mais elle avait l'air pas commode non plus, et puis sa moustache me donnait envie de rire alors je n'aie pas pleuré. Si je regardais mon pansement, j’avais le goût de pleurer et si je regardais la soeur moustachue, j’avais envie de rire. J'ai attendue en regardant ailleurs pour ne pas rire, ni pleurer.
Quand la soeur gentille est revenue, elle a dit que mon père allait venir mais qu'en attendant, elle avait une surprise. J'étais contente, mon père allait venir me chercher et j'allais avoir une surprise juste pour moi. Elle m'a fait signe de la suivre. J'ai fait un petit salut à la soeur moustachue, je ne savais pas trop comment m’y prendre alors j’ai fait une sorte de révérence comme on fait pour la reine d’Angleterre et je suis sortie. C'était pas une bonne idée parce que ça me tirait dans le genou et que j'ai pas pu m'empêcher de faire une sorte de grimace avec ma face.  J’ai suivie la soeur tout le long d’un corridor, puis nous avons tourné, puis suivi un autre corridor, pour sortir par une autre porte. Là, nous sommes arrivées dans une cour pleine de soleil.
Il y avait de grands arbres et des feuilles d'automne toutes colorées partout. Je n’avais jamais vue cet endroit parce qu'un grand mur de pierres en fait le tour. Il y avait encore des fleurs et une statue de Marie au milieu. Nous nous sommes assises sur un banc, il y en avait quatre tout autour du carré de fleurs. J'aurais bien fait le tour du parc mais mon genou me faisait mal quand même un peu. Je croyais que c'était ça la surprise, mais ce n'était pas tout. Elle a plongé sa main droite sous un pli de sa robe. La soeur portait une robe blanche avec par-dessus une sorte de jumper noir pas cousu mais attaché par des cordons. Ça me faisait penser aux tabliers que nous portons mes soeurs et moi pour manger à la maison. La soeur a fouillé un peu dans sa robe, ça n’avait pas l’air facile, puis elle a sortie un suçon rouge d'une poche secrète. J’étais contente parce que les rouges, c’est mes préférés. Elle m’a dit : Tu peux le manger. J’espère que tu aimes les rouges? Moi, quand j’étais petite c’était mes préférés. Nous étions pareilles, j’ai trouvé ça drôle, parce que la gentille soeur avait l’air tellement vieille que j’aurais dit qu’elle avait au moins cent ans. J’essayais de l’imaginer petite fille comme moi avec un suçon rouge dans la bouche et ça m’a amusé beaucoup.
J’ai ouvert mon suçon et je l’ai mis dans ma bouche. Elle a tendu la main et j’ai compris qu’elle voulait le papier. Je le lui ai remis et elle l’a mis dans sa poche secrète, celle où il y avait le suçon avant. Je suis resté là en silence avec ma nouvelle amie, à regarder le soleil traverser les arbres pour nous colorer les pieds. Je n’avais jamais ressenti autant d’amitié avant, surtout d’un adulte et encore plus d’une soeur. Il faisait chaud, j’étais bien. La soeur m’a encore parlé un peu, elle a dit que ce jardin, c’est elle qui l’entretien avec d’autres soeurs et que c’est ici qu’elles viennent se reposer quand elles le peuvent. Que c’est aussi un endroit parfait pour prier parce que c’est calme et que c’est beau et que tout ce qui est beau nous rapproche de Dieu. J’avais l’impression, comme elle parlait tout doucement et presque tout bas, qu’elle me disait un secret.
Je me sentais fière de partager le secret du jardin des soeurs. Je ne le dirai jamais à personne. Elle a continué de parler doucement en disant que dans ce couvent elles étaient une soixantaine de religieuses et que malheureusement l’appel de la vocation se faisait de plus en plus rare chez les jeunes filles et qu’il n’y avait parmi elles que huit novices alors que lorsqu’elle était postulante elles étaient une quarantaine de jeunes filles ayant entendue l’appel de Dieu. Elle a dit qu’elle était heureuse ici, pas seulement dans le jardin, mais partout dans ce couvent, que c’était un endroit calme et plein de petites joies comme ce si beau soleil d’automne dans les feuilles colorées.
Elle a arrêté de parler et nous nous sommes contentées toutes les deux de regarder le jardin si beau. J'avais presque mangé tout mon suçon, le bonbon était rendu tout mince, quand une autre soeur est arrivée. Elle a fait un signe de tête vers la soeur gentille et nous nous sommes levées pour la suivre en silence.  J'ai retirer le suçon de ma bouche, parce que ma mère me dit qu'un suçon ça se mange sans bouger, sinon on peut se faire mal avec le bâton.  Nous sommes rentrer à nouveau dans le couvent, nous avons marcher dans le grand corridor mais nous en avons pris un autre après, puis un escalier tout blanc, puis un autre corridor, puis j'ai aperçu mon père dans un autre local tout vitré mais bien plus grand que le premier et sans soeur à moustache. Il ne m'a pas dit un mot sauf : ''Merci'' à la soeur si gentille.
Devant le couvent, il y avait la voiture de mon père. Nous sommes rentrés en silence. Je sais qu’il n’aime pas beaucoup les religieuses et qu’il ne devait pas être content d’être entré dans un couvent pour venir me chercher, alors je n’ais rien dit. Je sais aussi que d'avoir du dire merci à une religieuse avait du lui demander un effort. J'étais toute seule sur la grande banquette arrière rouge du Météor noir de mon père. Je me sentais grande et importante comme une reine. J’avais envie de faire des signes de la main comme ceux qui font des parades mais il n’y avait personne dans les rues. J’étais contente que mon père soit venu me chercher. C’était la première fois qu’on était tous les deux tout seul dans la voiture. Je me sentais si bien que je ne sentais plus mes bobos aux genoux. Je regardais dehors en finissant de croquer mon suçon. C’est dur de ne pas le croquer, arrivé à la fin. Le bonbon devient si mince qu’il se croque tout seul, alors il faut en profiter car là, c’est la fin.
Je n'ai pas pensé une minute qu'une fois rendue à la maison je me ferais chicaner par ma mère. C'est là que tout mon chagrin est revenu. Ma mère m'a envoyé me coucher. Elle m'a aidé à me déshabiller en me parlant fort. Elle s’était inquiétée en ne me voyant pas sortir de l’autobus scolaire quand il est passé. Elle avait téléphoné à l’école mais ça ne répondait pas. C’est la gentille soeur qui a finalement téléphoné à ma mère pour lui dire où j’étais. Mon père n’était pas encore arrivé, mais quand il est rentré du travail ma mère l’a envoyé me chercher au couvent. Ma mère me disait tout ça en me déshabillant.   Elle a observé le gros pansement sans dire un mot.  Je me suis retrouvé en camisole et en petite culotte et elle m’a mise au lit. C'est bizarre, mais j'ai dormi. D'habitude j'ai du mal à m'endormir, surtout en plein jour, mais la boum! Je me suis endormie.
Quand je me suis réveillée ma mère lavait la vaisselle. Elle m'a donnée à manger et j'ai soupé toute seule comme une grande en repensant à ce qui venait de m’arriver. Pour la première fois de ma vie, je m’étais sentie importante et c’était grâce à la soeur gentille. Je voulais faire la même chose qu'elle, faire en sorte que les autres se sentent importants. C'est à ce moment là que j'ai pris la décision de devenir religieuse plus tard. Je n'ai rien dit. Pas à ma mère, même si ça lui aurait fait plaisir je pense, parce que ce jour-là elle était trop énervée pour m’écouter. Je ne le dirai pas plus à mon père parce que je sais très bien qu’il hait les curés, les soeurs et les militaires.
Pour les militaires je comprends très bien car ce sont eux qui font la guerre, mais les curés et les soeurs, là, je ne le comprends pas. D’habitude ils ne font de mal à personne, bon, sauf la soeur directrice. C’est peut-être pour ça que mon père n’aime pas les soutanes comme il dit. C’est peut-être parce qu’il a eut un directeur de l’ancien temps comme nous autre et que les parents de son temps n’ont rien dit quand ils ont reçu des coups de strap. Alors j'ai gardé deux secrets dans mon coeur: le jardin des soeurs et mon désir de devenir religieuse un jour. 
 Avec tout ça, j’avais oublié de faire mes devoirs.