Les pots
de chagrin
L’avenir
Quand
je serais grande je ne me marierai jamais. Je sais que je suis
petite, on n’arrête pas de me le dire, mais j’ai neuf ans et
j’ai déjà des idées sur ce que je veux faire quand je serai
grande. Je n’ai pas envie du tout de devenir une femme avec un nom
d’homme. C’est ce que font les femmes mariées. Ma mère
s’appelle Madame Jean Goudreault, je trouve que ça n’a pas
d’allure. Je préfère rentrer chez les sœurs, même s’il me
faudra prendre un nom de sœur, au moins, c’est moi qui le
choisirai. Je prendrai le nom de Marie, de toute façon je l’ai
déjà sur mon baptistaire alors ce ne serait pas un gros changement.
Quand
je serai religieuse, je partirai en Afrique, là où les hommes sont
gentils et où il n’y a pas de guerre, juste de la misère. Je
serai une sœur soignante, ou enseignante, ou bien les deux. En
Afrique, ils sont trop pauvres pour faire la guerre, ils ne peuvent
pas se payer des armes, et c’est difficile de se battre quand il
n’y a rien à manger. S’ils n’ont rien à manger c’est à
cause de la misère, de la grosse misère noire. C’est possible de
se battre contre la misère, même la misère noire, mais il n’y a
rien à faire contre la guerre, c’est toujours elle qui gagne. Il
n’y a jamais personne qui gagne vraiment une guerre, même celle
contre les Allemands, personne n’a gagné. Il y a eut plein de
morts des deux côtés, même que je pense que les allemands ont
perdus moins de monde que les autres. Alors quand j’entends qu’ils
ont perdu la guerre, moi je n’en suis pas si sure. Je crois que
le mieux que nous pouvons faire c’est d’arrêter la guerre et
que la seule façon de gagner une guerre c’est de l’empêcher.
Parce que si on ne l’empêche pas, il n’y a que des perdants, des
deux côtés, et même des fois plus, quand c’est une guerre
mondiale.
C’est
pareil que la chicane, il n’y a rien à faire avec ça. Tous le
monde à de la peine quand il y a de la chicane. Pas seulement ceux
qui se crient des noms, mais tout le monde autour. Des chicanes, il
y en a souvent à l’école. Je suis contente que l’école
achève, ça va bientôt être les grandes vacances d’été. Je
vais pouvoir prendre ma bicyclette pour aller ailleurs qu’à
l’école. Ce n’est pas que je n’aime pas l’école, mais on
n’y apprend pas grand chose. Il y a trop de monde, trop de bruits,
trop de garçons baveux et trop de filles pas fines. Plus il y a de
monde et plus il peut y avoir de la chicane, c’est comme ça. Il y
a les chicanes entre les élèves et il y en a aussi entre les
professeurs et ça en plus des professeurs qui chicanent les élèves.
Il y a même eut une chicane entre les parents et la directrice
cette année. C’est vrai qu’elle est complètement folle, elle
donne des coups de strap aux élèves parce qu’ils sont mal
habillés. Comme si les enfants faisaient exprès d’être pauvres.
Dans le village il y a beaucoup de pauvres, en tout cas, il n’y a
pas beaucoup de riches.
Une
fois j’ai bien cru que c’était mon tour de goûter à la strap.
La directrice était postée devant la porte de ma classe alors que
nous rentrions tous de la récréation du matin et elle regardait les
jambes de toutes les filles qui entraient. Celles qui portaient des
pantalons moulants sous leur uniforme au lieu des collants se
faisaient attraper par un bras et mettre de côté pour aller à son
bureau. Il y avait déjà trois filles alignées près du mur, l’air
résigné et les lèvres tremblantes d’humiliation. Je n’en
menais pas large. Je suis passée sans que la sœur directrice ne se
rende compte que moi aussi je portais des pantalons moulants au lieu
d’une paire de collants. Je ne sais pas ce qu’a la directrice
contre les pantalons. Si la directrice ne s’est aperçue de rien,
c’est que ma mère nous fait mettre à ma sœur et moi des
chaussettes de la même couleur que nos pantalons, des bleus pour moi
et des rouges pour ma sœur. Alors, c’est vraiment difficile à
voir. Si nous portons des pantalons au lieu des collants, c’est
parce qu’ils sont plus résistants, qu’ils coûtent moins cher et
que c’est plus beau que des collants trop souvent raccommodés.
Puis avec nos uniformes gris, ça met un peu de couleur. Les filles,
nous devons porter des jumpers gris et les garçons des pantalons
gris. Avant nous devions absolument porter du blanc avec nos
uniformes carreautés verts. Mais depuis qu’ils sont gris, ça
fait déjà deux ans, le règlement est plus souple, enfin, c’est
ce que nous pensions. Les pauvres filles qui sont allées chez la
directrice en sont revenues en pleurant. Elles n’ont pas voulu
dire ce qu’elles avaient enduré, mais tous le monde sait qu’elles
ont mangé de la strap, mais où? Sur les doigts, les fesses, ou
peut-être sur les mollets que la directrice surveillait tant.
Cette
directrice est une sœur tellement vieille qu’elle a des principes
passés date et qui viennent d’une autre époque. C’est comme si
le temps s’était arrêté pour elle, elle vie dans l’ancien
temps. Si la directrice est devenue si méchante, il parait que
c’est parce que l’année prochaine les sœurs ne porteront plus
le voile, ni ces drôles d’uniformes qui leur donnent des airs de
corneilles. Elles devront s’habiller comme tous le monde, tous
simplement, et pour pouvoir les reconnaître elles vont porter de
petites croix sur leurs vêtements. Moi, je trouve que c’est une
bonne idée. J’en suis très contente, je vais pouvoir profiter de
cette nouveauté un fois que je serai chez les sœurs. J’espère
seulement que je n’aurai jamais une directrice aussi vieille que
celle-là. D’ici à ce que je sois assez grande pour faire mes
vœux, les vieilles sœurs de l’ancien temps seront à la retraite
depuis longtemps, c’est sure.
Depuis
cette histoire des pantalons moulants, la directrice a été
remplacée par un directeur laïc. C’est un marguiller, une
personne qui aide l’église mais qui n’est pas un curé. C’est
lui qui dirige l’école pour le reste de l’année, même si nous
ne le voyons jamais. Il travaille, il est marié et il a des
enfants, alors il ne vient que le soir et il fait des réunions avec
les sœurs et avec les professeurs. Il n’y a plus de sœurs qui
enseignent, elles sont toutes trop vieilles, il ne restait que la
directrice et puis d’autre sortes de sœurs qui dirigent d’autres
sortes d’affaires comme celle qui à toute les clés et celle qui
tient la procure. Elle, c’est la plus fine, des fois elle nous
donne des affaires qui reste trop longtemps sur les tablettes comme
la fois ou elle nous avait donné des vieilles effaces roses qui ne
sentaient plus rien mais qui effaçaient encore.
Le
plus gros changement qui est arrivé avec le nouveau directeur c’est
que nous ne faisons plus la prière chaque fois que nous rentrons
dans la classe et nous ne chantons plus le Ô Canada tous les matins.
Nous disons simplement bonjour à la maîtresse tous ensemble.
Comme ça nous avons plus de temps pour apprendre. C’est dommage,
moi j’aimais bien chanter, mais j’aurais changé de chanson de
temps en temps et puis les prières je trouve que c’est mieux de
les faire à l’église ou bien dans son coeur. Je trouve qu’une
prière c’est personnel dans le fond et nous pouvons bien prier où
et quand nous le voulons. Pour moi le mieux c’est le matin en me
levant, pour bien commencer la journée et le soir en me couchant
pour faire mon examen de conscience et penser à ma journée afin de
voir ce que j’aurais put améliorer. J’ai appris ça en deuxième
année, quand nous nous préparions pour la première communion.
C’est important de bien faire nos prière parce qu’Il faut être
toujours prêt à rencontrer le bon Dieu, on ne sait jamais.
Toutes
ces histoires avec les sœurs ça nous a fait une drôle d’année
scolaire. Beaucoup de personnes se sont chicanées. Les parents qui
étaient d’accord avec les sœurs et ceux qui était pour le
nouveau directeur avaient formé des camps opposés, comme des
armées. Je crois même que le gouvernement s’en est mêlé, pour
que ça s’arrête. Même mes parents n’étaient pas d’accords
entre eux. Mon père n’aime pas les curés, ni les religieuses et
il est contre la prière dans les écoles, mais ma mère est croyante
et elle est pour ça. Même si mes parents ne pensent pas pareil et
qu’ils ne sont pas d’accord, ils ne se disputent pas pour ça.
C’est la preuve qu’on peut être ensemble et puis avoir toutes
sortes d’idées différentes et même qu’en plus c’est possible
de s’aimer pareille.
Avec
toutes ces chicanes, l’école ne possède pas toujours l’ambiance
idéale pour apprendre. Je me dis des fois que j’aimerais mieux
apprendre toute seule, les livres sont faits pour ça. Si j’avais
le livre de la maîtresse, je n’aurais pas besoin d’elle. Je
l’ai vue souvent son grand livre du maître, sur son bureau. Des
fois, quand c’est mon tour de laver le tableau, j’en lis quelques
pages et je trouve ça vraiment intéressant. Il y a des notes qui
disent comment expliquer et il y a des exemples et des exercices avec
les réponses. Ce n’est pas tellement les réponses qui
m’intéressent que les explications qui sont données. Elles sont
beaucoup plus claires que ce que dit la maîtresse. Elle en dit
trop, comme si elle mettait de l’eau dans sa soupe alors c’est
difficile de savoir si c’est du bouillon de bœuf ou de poulet.
Au
début je la trouvais fine ma maîtresse de quatrième année, mais
depuis qu’elle a traité le petit Gallant de pâte molle, je la
trouve injuste comme tous les autres adultes. Ce n’est pas facile
de trouver un adulte qui soit du bord des enfants. Le petit Gallant
a bien le droit de dormir un peu sur son pupitre, vue qu’il se lève
de très bonne heure pour faire le train avec son père et qu’il se
couche tard pour faire ses devoirs après ses corvées du soir.
Elle le saurait, ça, la maîtresse, si elle lui demandait pourquoi
il dort au lieu de lui crier après.
Moi,
je sais tout ça, pas parce que le petit Galant me l’a dit, il ne
parle pas beaucoup, comme tous les garçons, mais parce qu’il vie
sur une ferme et que tous les garçons qui vivent sur une ferme
travaillent fort comme ça. C’est un bon garçon autrement, il ne
se bat jamais, il est gentil avec les filles, il ne nous tire jamais
les couettes, il lui arrive même de nous laisser passer devant lui à
l’abreuvoir et il n’est pas le dernier de la classe, même qu’il
a une belle main d’écriture pour un garçon. J’ai vu l’eau
qui montait dans les yeux bleus du petit Gallant quand la maîtresse
lui a dit ça, qu’il était une pâte molle, devant toute la classe
en plus. Il avait l’air tellement triste, puis, de grosses larmes
se sont misent à couler, mais elles coulaient sans un bruit, pas un
mot, pas un son ne sortaient de sa bouche.
Je
sais pas comment il fait ça, pleurer sans bruit, mais ça
m’impressionne, moi je n’y arrive pas. J’aimerais bien qu’il
m’apprenne. Je l’ai trouvé très courageux d’arriver à
pleurer comme ça, comme les adultes. Je n’avais jamais remarqué
avant qu’il avait les yeux bleus comme mon grand-papa Gagné. Des
yeux bleus comme le ciel.
Je
l’aime assez mon grand-papa Gagné. Il n’est jamais allé à
l’école lui. Alors comme il ne sait même pas écrire son nom, il
signe avec une croix. Une chance que grand-maman Gagné était
maîtresse d’école. Tout les dimanches elle lui lit le Bulletin
Paroissial. Mon grand-papa ne sait pas lire, mais lui, il sait
parler aux animaux, et les animaux l’écoutent. Il comprend les
animaux pas seulement parce qu’il les soigne, mais parce qu’il
les écoute. C’est pareil avec les enfants, ceux qui nous
comprennent c’est parce qu’ils nous écoutent. C’est aussi
rare que ceux qui comprennent les animaux. Mon grand-papa est de
ceux là, il comprend les animaux et les enfants, c’est encore plus
rare.
Il
a une jument difficile qui s’appelle Catin. Elle prend souvent le
mord aux dents. C’est parce qu’elle a été maltraitée par son
ancien propriétaire qu’elle fait ça. Quand sa jument Catin prends le mord aux dents, il dit que c’est parce qu’elle a peur.
Peur qu’on lui fasse du mal, pis que quand la peur est là, elle
prend toute la place. Ça ne sert à rien d’expliquer, de tenter
de parler, quand un animal a peur, il n’entend plus rien. C’est
pareil pour tous le monde il parait. Alors dans ces cas là, mon
grand-papa, quand Catin prend le mord aux dents, il la saisi dans
ces bras très très fort, car il est très très fort mon
grand-papa. Il lui caresse doucement le cou pour la calmer en la
regardant droit dans les yeux, puis dès que c’est possible,
enfin, quand elle a commencé à avoir moins peur, il peut lui parler
doucement.
Moi
je n’ai pas peur quand Catin prend le mord aux dents. J’écoute
mon grand-papa et je fais tout ce qu’il dit. J’a confiance en
lui, il me parle doucement. Il parle toujours doucement et il sait
ce qu’il dit. Et puis, il aime les bonbons et il nous amène
souvent faire un tour au village avec les chevaux juste pour en
acheter un sac que nous cachons ensuite dans la grange pour pas se
faire chicaner par maman ni par grand-maman qui ne veulent jamais
qu’on mange des bonbons. Surtout pas avant les repas.
Grand-papa
Gagné n’a jamais chicané personne, surtout pas un enfant. Ma
mère dit que c’est parce qu’il est resté enfant lui-même et
que comme ça grand-maman Gagné elle a eut treize enfants à
s’occuper durant sa vie, douze qu’elle a mis au monde plus mon
grand-papa. Elle peut bien avoir l’air fatiguée des fois. Mai
elle a tellement l’air de l’aimer son mari-enfant, ça se voit
dans ses yeux et ça se sent dans ses gestes. Elle le sert toujours
en premier après les enfants et elle lui met toujours un petit bol
de sirop d’érable à côté de son assiette parce qu’il aime ça
tremper sa viande puis ses patates dedans.
Mais
des maris comme grand-papa Gagné je ne crois pas que ça existe
beaucoup. Même le petit Gallant, je l’ai vue un jour donner un
coup de pied à un chat. Il n’est pas toujours gentil et il n’a
pas du tout l’air de comprendre les animaux. Alors je ne prends
pas de chance et je vais rentrer chez les sœurs.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire